Vous avez d’abord étudié la sculpture. En quoi cette pratique a-t-elle influencé vos créations visuelles ?
La pratique de n’importe quel médium nourrit l’esprit et entraîne le regard. Mais, en plus de cela, mon travail requiert la capacité à créer des structures, à transformer des objets en appareil photo, ou à en modifier certains déjà existants pour mieux correspondre à mes besoins. Si la dimension 3D de ma pratique n’est pas le produit final, elle fait cependant partie du travail.
Qu’est-ce qui vous a conduit à l’expérimentation photographique ?
Lorsque j’habitais à New York, je vivais au 27e étage, dans un loft très lumineux, entouré de gratte-ciel. La vue depuis cet appartement était telle que j’ai voulu la documenter – mais d’une manière qui permettrait de faire honneur à mon ébahissement à chaque fois que je regardais par la fenêtre. Je voulais tout capturer : la vie, la lumière, et l’architecture.
Vous avez transformé votre appartement en un appareil photo sténopé, pourquoi vous êtes-vous éloignée des appareils classiques ?
Un appareil conventionnel implique de travailler avec un certain dispositif, ainsi qu’un négatif qui sera ensuite imprimé. Ces deux aspects demandent une médiation supplémentaire. Je voulais développer une approche plus immédiate entre le regard et la capture, c’est ce qui m’a donné envie de me tourner vers la camera obscura : pour éliminer des étapes. L’inversion de l’image donne au regardeur une raison de ralentir, de scruter l’image, et de ressentir un suspense dans l’incertitude du familier.
Diriez-vous que votre travail possède une dimension performatrice ?
Bien sûr. On ne peut pas considérer que ma présence à l’intérieur de l’appareil soit passive. J’y suis pour m’occuper de l’image et contrôler physiquement la manière dont la lumière interagit avec le papier photographique.
New York est un sujet récurrent de votre œuvre. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette ville ?
C’est cette ville qui m’a donné envie de travailler de cette manière. C’est mon chez-moi, et elle continue de m’inspirer chaque jour.
Pourquoi vous focalisez-vous sur la lumière et l’architecture ?
La lumière est la force de mon travail – sans elle, il n’y aurait pas d’image. Je fais toujours attention à la position du soleil dans le ciel, car elle peut modifier l’apparence de mon sujet en quelques secondes. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle ma présence dans l’appareil est importante.
Concernant l’architecture, son rôle est intrinsèquement lié à ma pratique. Mon travail requiert une certaine structure pour être fidèle à l’image que je souhaite réaliser. Ces structures sont architecturales, et en tant que telles, elles prennent le rôle de ce qui est conventionnellement perçu comme un appareil. Parfois, ces structures peuvent atteindre environ 3 x 2,5 x 2 mètres. Et comme pour la lumière, mon travail n’existerait pas sans elles.
En quoi votre statut de femme a-t-il influencé votre travail ?
Être une femme n’a pas affecté ma pratique, mais plutôt ma carrière. Mon genre m’a poussée à travailler plus dur, à être plus persévérante qu’un homme ne l’aurait été.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes femmes photographes ?
Je leur conseillerais de suivre leur vision. De ne pas changer pour les autres, de travailler dur, et de ne pas se laisser influencer par les modes et les tendances. Celles-ci ne durent pas, ce qui reste, c’est leur travail. S’il est unique, il sera reconnu. Il faut regarder l’art, y penser, et lire. Parfois, le fait d’être une femme les avantagera, d’autres fois, ce sera perçu comme une discrimination. Il faut remarquer les deux, car les deux passeront. Toujours revenir à l’œuvre (et non à la personne). Chercher le bon l’équilibre si elles le peuvent. Se battre pour la justice (et pas seulement sa propre justice), toujours être engagée, alerte, jamais intimidée. Certaines situations sont sans espoir : il faut apprendre à les reconnaître et savoir s’en détacher.