Interview de Sonia Voss

 

 

Sonia Voss - Commissaire du secteur Voices


Dans le cadre du nouveau secteur Voices, la commissaire Sonia Voss répond à nos questions et présente son projet intitulé 4 murs qui sera exposé à Paris Photo du 7 au 10 novembre 2024, au rez-de-chaussée du Grand Palais. 

Gabriele Stötzer, Inszenierung Jesus (Enactment of Jesus), 1985 - Courtesy Monopol

Vous avez décrit la chambre comme un « espace de projection, de création et d’expression » utilisé par les artistes de votre sélection pour Voices. Comment cette image relie-t-elle les travaux présentés ?


Dans le système coercitif de l’occupation soviétique, auquel étaient soumis les différents pays représentés sur le stand, et en raison de la censure qui y était exercée, la création a souvent éclos au domicile même des artistes. Ainsi l’espace intime – et a fortiori la chambre – est devenu pour beaucoup un lieu à réexaminer, réexplorer, voire réenchanter ou transformer. La chambre a été tantôt un laboratoire, tantôt un théâtre personnel, tantôt un observatoire. C’est particulièrement visible chez Libuše Jarcovjáková, Violeta Bubelytė, Gabriele Stötzer... Mais ce paramètre ne suffit pas à déchiffrer l’ensemble de la création de l’époque, loin s’en faut. La campagne – moins surveillée que les villes – a aussi permis les expérimentations les plus débridées, comme on peut le voir avec Zygmunt Rytka ou Rimaldas Vikšraitis. La réalité politique de chaque pays a également différé, et avec elle le spectre des possibilités offertes aux artistes : certains ont pu voyager, investir l’espace public… Au-delà du thème initial de la chambre, le stand permet finalement une approche plus vaste et plus fidèle aux complexités de cette période.

Vous avez choisi de collaborer avec des galeries issues de l’ancien bloc de l’Est, un territoire que vous avez l’habitude d’explorer dans le cadre de vos recherches.  Pourquoi est-ce pertinent de montrer ces scènes artistiques aujourd’hui ?


Les stratégies personnelles et artistiques qui se sont affirmées, en dépit des contraintes et des répressions qui ont pesé à l’époque, sont émouvantes et assez galvanisantes. Ces artistes ont fait preuve de lucidité et de courage. Mais ce sont peut-être avant tout la souveraineté de leurs corps, leur imagination et leur humour qui ont été salvateurs. Les moyens mobilisés sont souvent simples et puissants ; et les œuvres qui en résultent, incisives et traversées par l’humour – ou marquées par un désir de transfiguration, de transformation. Bien sûr, au-delà d’un contexte partagé, les choix individuels et les chemins suivis par chacune et chacun font la force de ces corpus idiosyncratiques. Cela est passionnant : comment la personnalité d’un artiste et son langage se déploient et se distinguent au sein d’une réalité commune à laquelle il réagit forcément.

Par ailleurs, l’exploration de cette période désormais historique est loin d’être terminée : il reste beaucoup à découvrir – même si d’importantes initiatives doivent être saluées, comme la monographie de Rytka à paraître chez Spector Books, les films sur Libuše Jarcovjáková et l’école de Kharkiv, à voir prochainement sur Arte… Ces œuvres et leur mise en relation, rendue possible par le stand, ouvrent la voie à des lectures nouvelles : multiples, référentielles et nuancées. Il va par ailleurs sans dire que l’esprit de résistance et la force de l’imagination constituent aujourd’hui encore des contrepouvoirs primordiaux, en particulier dans ces pays que l’actualité européenne met face à leurs vieux démons. Cette résistance, les photographes de l’école de Kharkiv l’illustrent avec une continuité exemplaire et des idées et des formes toujours renouvelées.


La scène lituanienne, à quelques exceptions près, demeure largement méconnue du grand public. Quelles découvertes le public de Paris Photo fera-t-il cette année dans le secteur Voices, ainsi que dans la Collection qui seront présentées lors de la foire ?


La photographie lituanienne – celle des années 1960 à 1990 particulièrement – est d’une grande richesse. Il était temps de la faire découvrir au public de Paris Photo. Je m’y intéresse depuis quelques années et elle ne cesse de me surprendre par ses singularités : c’est une photographie marquée à la fois par un rapport puissant à l’humanité et à la terre, mais aussi par une forme de lucidité et de désespoir, réenchanté par la poésie voire le mysticisme… Ces particularités sont liées à l’histoire du pays, largement rural et sylvestre, ayant connu diverses occupations traumatisantes, mais porté par un esprit de résistance, une tradition de la poésie et une culture panthéiste ancrée depuis des millénaires.

La Saison de la Lituanie en France nous offre une belle occasion de proposer, dans la prochaine édition de Paris Photo, un panorama de la photographie lituanienne de ces décennies. Le public y découvrira de nombreux artistes peu ou jamais présentés en France, à la fois dans le secteur Voices, chez Kaunas Gallery, et sur la mezzanine du Grand Palais. Une exposition y réunira des tirages issus des collections de la Bibliothèque nationale de France et d’autres, identifiés dans le cadre d’un projet d’acquisition par le Centre Pompidou. D’autres œuvres encore proviendront de l’Union des Photographes de Lituanie – un organisme dont les racines remontent à plus de 50 ans ; elles seront complétées par quelques positions contemporaines, témoignant de la vitalité de la scène lituanienne actuelle et de la façon dont celle-ci prend source dans les œuvres des générations précédentes.

Aurora Király, VIEWFINDER photography, 2014-2016 - Courtesy of Anca Poterasu

Galeries exposées


Alexandra de Viveiros, Paris – Group Show - Vladyslav Krasnoshchok | Evgeniy Pavlov | Roman Pyatkovka | Vladyslav Krasnoshchok

Anca Poterasu, Bucarest – Group Show - Aurora Király | kinema ikon (collectif)

Fotograf Contemporary, Prague* – Duo Show - Libuše Jarcovjáková | Markéta Othová

Kaunas Photography, Kaunas* – Group Show - Violeta Bubelytė | Vitas Luckus | Virgilijus Šonta |  Antanas Sutkus | Domicelė Tarabildienė | Rimaldas Vikšraitis 

Monopol, Varsovie* – Duo Show - Zygmunt Rytka | Gabriele Stötzer

Portrait de Sonia Voss - Crédits: Maurice Weiss


Biographie


Sonia Voss - Commissaire indépendante

« Qu’elles soient familières ou transitoires, vides ou remplies, lieu de l’exil intérieur ou de la rassurante intimité : les chambres sont souvent investies avec intensité par les artistes, en particulier dans des contextes d’oppression politique où elles constituent un ultime terrain de liberté. Elles invitent à l’introspection, au voyage immobile et à l’expérimentation ; se transforment en théâtre ou en observatoire ; et peuvent, enfin, fonctionner comme métaphore de la photographie même. L’espace « 4 walls » est consacré à la chambre comme lieu de projection, d’expression et de création. »

Sonia Voss est auteure et commissaire d'exposition. Son exploration de la photographie est-allemande l'a amenée à organiser l'exposition « Restless bodies: East German Photography 1980-1989 » (Rencontres d'Arles, 2019; National Gallery of Art, Vilnius 2022) et à s'intéresser à diverses scènes photographiques émergentes derrière le rideau de fer, notamment en Lituanie dans les années 1970 et 1980. Elle a été commissaire pour le Prix Louis Roederer Discovery Award en 2021 aux Rencontres d'Arles. Elle soutient également plusieurs artistes dans leurs projets artistiques et leurs expositions.

Secteur Voices


Paris Photo lance cette année le nouveau secteur Voices pour convoquer le regard sensible et ouvert de personnalités du monde de l’art. Cette première édition du secteur sera portée par les commissaires Sonia Voss, Azu Nwagbogu, et Elena Navarro.