Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ?
Je trouve fascinant cette capacité de la photographie à placer le monde entier sur une surface plane. Je n’ai jamais perçu le 8e art comme une simple coquille, j’ai toujours été enchantée par sa faculté à englober le regardeur. Cette dimension dialectique entre la profondeur et la planéité existe dans mon travail, comme deux entités qui doivent être considérées, contemplées.
Je ne me définis pas comme une photographe, car mon intérêt pour le médium est arrivé plus tard, au moment où c’était quelqu’un d’autre qui tenait l’appareil. Je crois, en revanche, en partager certaines problématiques : la notion de regard, notre manière d’observer le monde et de le ressentir, la façon dont les images se transforment lorsqu’elles sont forcées à paraître en deux dimensions.
Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?
J’essaie de ne pas me limiter à des définitions thématiques et conceptuelles. Mon intérêt se porte vers les images qui suscitent quelque chose en moi, celles que l’on ne peut pas catégoriser aisément.
Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?
Mon regard sur le monde et sur l’intime est un regard de femme, ainsi qu’un regard essayant de capter toutes les nuances qui transparaissent de ma propre identité – mon âge, mon lieu de résidence, mon histoire personnelle et culturelle. Essayer d’essentialiser un seul de ces paramètres pourrait transformer la notion de regard en un filtre extérieur, ce que je trouve problématique. Lorsque je travaille, la féminité n’est pas mon sujet.
On pourrait à la place poser une autre question : qu’est-ce qui constitue un regard féminin ? Il me semble que la réponse est quelque chose que l’on peut ressentir, mais qui est très difficile à cerner si l’on se réfère aux définitions linguistiques sans équivoque.
Votre statut de femme a-t-il, ou a-t-il eu, une influence sur votre statut d’artiste ?
Je choisis de croire que ce n’est pas le cas, et que la signification et la qualité de mes œuvres déterminent leur place dans le monde de l’art.
Vivez-vous de votre art ?
Non, et j’en suis heureuse. J’enseigne à l’Académie d’art et de design de Bezalel, à Jérusalem. Cette source de revenus me permet de créer librement, sans m’inquiéter des enjeux économiques.
Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?
Je citerais Agnès Martin, dont l’œuvre m’inspire depuis plusieurs années. Son approche religieuse, mystérieuse et indéchiffrable de l’art me fascine. Tout comme son engagement pour son travail, qu’elle continue de réaliser sans promesse de profit.
John Stezaker, qui était mon tuteur au Royal College of Art à Londres, avec qui j’ai longuement échangé autour du pouvoir de l’image et tenté d’extraire les images de leur contenant : le flux de la vie.
Yossi Breger, un ami et photographe israélien dont le travail est influencé par les notions de définitions et de réductions. Il m’a aidé à clarifier ce qu’était “un œil” dans ce monde.
Enfin, Dalia Amotz, une photographe israélienne dont les photos de paysages ont établi une approche opposée au “regard d’homme” des années 1980, qui dominait alors la photographie israélienne. Elle capturait la nature ténébreuse de l’existence à l’aide de champs lumineux.