ELLES X PARIS PHOTO - MALALA ANDRIALAVIDRAZANA 

GALERIE DOMINIQUE FIAT 

 “Je pense qu’il existe un regard misogyne, autant porté par les hommes, que par les femmes.”

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

Ma relation à la photographie a d’abord été marquée par la pratique amateur de mon père qui a guidé mes premiers regards d’enfant. Puis, lorsque j’ai commencé mes études d’architecture, l’appareil photo s’est imposé comme un outil de travail et d’expression en complément du dessin. J’avais alors l’opportunité de suivre des cours qui m’ont permis de prendre conscience des potentiels de la photographie pour voir et dire le monde dans sa plus grande diversité. C’est certainement ce déclic qui m’a donné la volonté de réaliser des images plus construites, et de manière attentive. Alors compte tenu de la manière dont je travaille, je me présente plus facilement en tant qu’artiste-photographe.

Votre travail est ancré dans l’histoire. Pourquoi est-ce important pour vous de questionner, réévaluer notre connaissance du monde ?

Les perceptions du monde se nourrissent des normes arbitraires qui se perpétuent d’une époque à l’autre, des rapports de domination entre genres, couleurs, classes et nations, ou encore des avancées industrielles et technologiques qui causent plus de tragédies que de justice. En d’autres termes, ces systèmes de représentation favorables aux violences de masse et de proximité reposent sur les préjugés, et plus généralement l’ignorance. Or, nous vivons dans un monde extrêmement fragilisé, et il est nécessaire d’envisager un nouvel ordre plus équilibré des choses et plus respectueux les uns des autres pour assurer la survie de tous. En clair, je crois qu’on ne peut avancer sans faire le ménage des idéologies rétrogrades.

Le territoire et le voyage sont des sujets centraux dans votre travail. Comment la photographie s’y rattache ? Est-ce que le 8e art est un médium privilégié ?

Les outils et les sujets s’entremêlent en permanence dans la construction de mon travail. De fait, mes réflexions autour du sens de la représentation et du contenu de l’image sont indissociables des notions de territoire et de circulation. Si la photographie est effectivement un médium, au sens de matériau et instrument pour la conception de mes œuvres, elle occupe aussi une place importante dans mes recherches. Le « voyage » n’est pas un terme que j’utilise pour décrire mes recherches et ce n’est pas un sujet central pour moi. Tandis que sur un plan pratique, le voyage me donne en réalité la possibilité de sortir de ma zone de confort, d’élargir mon champ visuel, et c’est essentiel pour ma création.

Pourquoi avoir abandonné une approche traditionnelle au profit de formats plus conceptuels ?

Le langage photographique que je tente de développer depuis le départ vise le renversement des représentations stéréotypées. Aussi, pour éviter de tourner en rond et continuer à avancer, il était indispensable que je m’écarte franchement du format d’image traditionnelle. Aujourd’hui, je suis réellement plus à l’aise avec cette écriture par le biais du photo collage qui se rapproche du dessin, et qui me laisse donc une marge de manipulation des images que je n’aurai pas eues dans une photographie classique produite avec une prise de vue unique.

Votre statut de femme a-t-il, ou a-t-il eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

Vous savez, je suis une femme de couleur de petite taille, et je ne sais pas quelle part de cette identité a le plus influencé mon statut d’artiste. Il n’empêche que la teneur des propos méprisants et des attitudes discriminatoires peut faciliter le basculement d’un état d’agression à des attaques plus profondes. Et quoi qu’il en soit, aucune violence n’est acceptable à mes yeux, alors j’espère que le travail que je construis puisse être compris dans ce sens.

Pensez-vous qu’il existe un regard féminin ?

Le regard est propre à chacun, et il évolue en fonction des expériences et des sensibilités. Je pense qu’il existe un regard misogyne, autant porté par les hommes, que par les femmes. Je ne me risquerai pas à enfermer qui que ce soit dans une case en fonction de son genre parce que cela reviendrait à envenimer les discordes au lieu de créer une harmonie plus juste.

Malala Andrialavidrazana

BIO


Née au Madagascar en 1971, Malala Andrialavidrazana s’est installée à Paris dès l’âge de douze ans. Diplômée de l’École nationale d’Architecture de Paris-La Villette, l’autrice s’inspire de ses connaissances pour déconstruire le médium photographique, et inventer un nouveau langage au croisement des arts. À travers ses créations, elle interroge notre histoire, comme les enjeux contemporains et souligne les contrastes entre la perception du monde de l’Occident et des pays du Sud. Un travail engagé exposé notamment en Afrique (Rencontres de Bamako, Fondation Donwahi) en Europe (PAC Milano, Konstmuseum), ou encore aux États-Unis (Art Institute of Chicago, Ford Foundation), et récompensé par le Prix HSBC en 2004. En 2020, Malala Andrialavidrazana est également nommée ambassadrice de l’espace galerie de la Fondation H, à Paris.

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