Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ?
Elsa : J’ai commencé la photographie à 16 ans. Je faisais des autoportraits fantomatiques dans ma cage d’escalier. J’ai très vite ressenti la sensation magique de pouvoir voyager dans le temps et de pouvoir modeler la réalité. Je ressentais une satisfaction créative que je ne trouvais alors ni dans le dessin ni dans la peinture.
Johanna : J’ai commencé la photographie à l’âge de 13 ans et j’y ai consacré toutes mes vacances et mon temps libre, pendant de nombreuses années. C’était un moyen de création qui m’a permis d’explorer différents univers. Cela m’a aussi donné la chance de partager beaucoup avec mes amis. C’est un médium social qui encourage l’interaction, la spontanéité, la création partagée et les idées immédiates. Dans un second temps, c’est aussi un médium qui demande un temps de réflexion et de compréhension des images prises. J’ai toujours aimé cette dimension, car elle est primordiale et cruciale dans le processus de création. C’est un travail d’archivage, de sélection, et de conversation entre les images. C’est pourquoi la photographie est unique : même si elle satisfait immédiatement le besoin de capturer un moment ou une idée, elle donne aussi la possibilité d’explorer une multitude de réalités dans un second temps de travail.
Pour répondre à la question, nous nous définissons comme deux artistes photographes plasticiennes et réalisatrices.
Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?
Dans notre pratique, nous souhaitons vivre et proposer une expérience humaine et sensible. Une expérience qui appelle le regardeur à se confronter à son propre système de projection, à son propre rapport à l’Autre, ainsi qu’aux mécanismes de sa mémoire individuelle et collective. Dans cette perspective, notre engagement est de créer des histoires et des personnages sensibles et authentiques, et de jouer nos performances photographiques de la manière la plus honnête possible. Il n’est pas un personnage que nous avons imaginé ou créé pour qui nous n’avons pas d’empathie. L’empathie est un engagement en soi.
Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?
Il est évidemment légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie. Étant un duo de femmes, nous nous sentons bien sûr concernées par cette question. Mais elle n’est pas un objectif dans nos sujets et nos histoires. Dans notre langage, les frontières sont minces et nous nous intéressons à tout ce qui nous entoure, des comportements sociaux culturels, féminins comme masculins. La vision des femmes sur le monde mérite une place de choix dans l’art et la photographie.
Votre statut de femme a-t-il, ou a-il-eu, une influence sur votre statut d’artiste ?
Notre statut de femme a évidemment une influence sur notre statut d’artiste, il est intrinsèque à notre pratique artistique sans avoir pour autant une influence trop politisante et absolue sur nos œuvres.
Dans notre travail de mise-en-scène et d’autoreprésentation, nous jouons avec les codes de féminité et de masculinité (que nous avons tous en nous). Ils se croisent et se mêlent dans une ambiguïté mystérieuse et fragile.
Nous observons les gens qui nous entourent, nous aimons décortiquer les corps, les attitudes, les ressemblances et les relations sociales. Nous sommes des femmes qui jouons des humains, peu importe leur sexe. Naturellement, nous admirons les personnages féminins, leur force, leur pouvoir de résilience, cela nous inspire beaucoup.
Vivez-vous de votre art ?
Nous avons la chance de vivre de notre art et de développer en parallèle nos projets artistiques et nos expositions ainsi qu’un travail de commande en photo et en vidéo. Nous travaillons depuis 2016 avec la Galerie La Forest Divonne qui nous soutient beaucoup. Notre relation avec eux est très stimulante. Nous répondons aussi à des cartes blanches et des commandes. Nous venons par exemple de réaliser une nouvelle série photo Carte Blanche pour le palais de la Découverte qui paraîtra fin novembre.
Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?
E & J : Francesca Woodman, Diane Arbus, Lauren Greenfield, Rineke Dijkstra, Alfred Hitchcock, Billy Wilder, Sophie Calle, Pedro Almodovar, David Hockney, Araki, Valérie Mreje, Tina Barney, Jeff Wall, Lorca Di Corcia, William Eggleston…
Dernièrement pour les auteur(e)s : Clarissa Pinkola Estés, Adrienne Brodeur, Roland Barthes, pour Johanna ; Anna Hope, R.J Ellory et des biographies de photographes comme Francesca Woodman pour Elsa.