Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Barbara Probst. Je suis une artiste qui travaille avec le médium photographique. Je suis née à Munich, en Allemagne, et je vis à New York depuis vingt ans.
Vous avez d’abord étudié la sculpture à l’Académie des Beaux-Arts de Munich, en quoi cela a influencé votre approche photographique ?
Je pense que mon travail photographique est directement inspiré de mon œuvre de sculptrice. Car regarder quelque chose sous différents angles et différents points de vue est une approche sculpturale. C’est une manière pour moi de refléter l’intérêt et la vision d’un sculpteur, même si, in fine, mon travail est plat – ce sont des photos, et rien n’est plus plat qu’une photo. Le spectateur regarde les différentes images d’une série, les compare, les assemble, les regroupe. C’est une manière d’observer très active, délibérée. Ainsi, il crée l’illusion d’une impression en trois dimensions dans son esprit – et c’est ça, la sculpture !
Paysages, photographies de rue, portraits, nus… Vous avez abordé différents styles. Pourquoi ?
Je ne m’intéresse pas à un style particulier de photographie, mais à la photographie en général. À la photographie en tant que phénomène illustrant, en apparence, la réalité. C’est d’ailleurs ce lien à la réalité qui m’a donné envie d’en savoir plus sur la photographie, et de travailler avec. C’est pour cette raison que je m’essaie à ces différents genres : pour l’approcher de plusieurs manières, et apprendre à la connaître. Les genres m’intéressent parce qu’ils font référence à des domaines artistiques qui ont été développés par des artistes au fil des siècles. Ils se sont diversifiés, réinventés. Regarder ce qui a déjà été fait est très utile ! Les natures mortes du xviie siècle, par exemple, que j’ai observées avant de démarrer les miennes. Il existe une collection très riche de peinture de natures mortes. Il est très utile d’étudier ce qui existe, ce qui a déjà été réalisé. J’y incorpore ensuite mes propres idées, mon vocabulaire, mes ressources, et je construis mes propres natures mortes. En faisant cela, j’espère proposer quelque chose qui n’existait pas, une addition au genre.
Comment définiriez-vous votre processus créatif ?
Je réalise une série d’images, et ces images sont toutes comparables, car elles représentent un même moment. En les comparant, il devient clair que le lien entre réalité et photographie est fin et fragile. Car chaque image d’un même moment me donne une différente approche de ce moment. Si elles sont toutes semblables, aucune d’entre elles n’est plus vraie ni plus fausse qu’une autre. Elles le sont toutes de manière équivalente, elles ont toutes la même valeur. C’est une sorte de principe démocratique. Il devient alors apparent que les points de vue, angles, paramètres, cadrages de chaque caméra déterminent l’image. Ce n’est pas ce qui est face à l’objectif qui définit le cliché, mais le photographe derrière l’appareil. Lui seul décide de quelle manière la réalité transparaît dans l’image. C’est donc la subjectivité du photographe qui détermine l’image, et non l’objectivité du monde.
En combinant ces différents points de vue, vous essayez justement de retrouver cette objectivité… Est-ce une notion perdue depuis longtemps, en photographie ?
Je crée ces mensonges, ces photographies – qui sont en quelque sorte des mensonges – et j’essaie de m’approcher d’une certaine forme de vérité, à l’aide de ces mensonges. Mais peut-être que finalement, on retrouve davantage la vérité dans la subjectivité. Si l’on s’intéresse au conditionnement de notre perception du monde, de nos sentiments, de notre sensibilité, de notre humeur, de notre expérience, de notre savoir, on réalise que toutes ces influences jouent un rôle dans notre perception et vision du monde. Nous avons tendance à imaginer que le monde est tel que nous le voyons, mais si l’on prend en compte notre subjectivité, on devient conscient de toutes les autres visions possibles.
En quoi le cinéma a-t-il influencé votre travail ? Quels réalisateurs vous ont inspirée ?
Je dirais que je me sens très proche de Jean-Luc Godard. Sa manière de penser, et de réaliser est très inspirante. Je crois que je perçois la photographie de la même manière qu’il perçoit le cinéma. Il enfreignait, en effet, les règles dès qu’il le pouvait. Un exemple ? Lorsque Godard, en plein milieu d’un film, tournait son protagoniste vers la caméra, et le faisait parler au spectateur. Depuis nos sièges confortables, nous consommons le film, et, au moment où l’acteur s’adresse à nous, cette manière de consommer le cinéma s’effondre complètement. Cela dérange le spectateur, car il prend part, de manière active et consciente, au film. Je pense que ce qu’il a inventé était révolutionnaire, pour plusieurs raisons. Bien sûr, tout cela vient de Bertolt Brecht – il s’en est inspiré – mais la manière dont il l’a adapté au cinéma est très inspirante.
Est-ce que le fait d’être une femme influence votre travail ?
En tant que femme, je crois que j’ai tendance à choisir des protagonistes femmes. Lorsque je réalisais des nues, j’ai choisi une danseuse, et notre collaboration a été très directe, simple et satisfaisante. J’ai aussi souvent la sensation qu’une protagoniste féminine joue mon rôle, lors du shooting. L’Allemagne est un pays dominé par les hommes, et je pense qu’être une femme m’a poussée à devenir une artiste encore plus concentrée et déterminée.
Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme photographe ?
Lorsqu’on est jeune artiste, il est très important de trouver cette chose dans son travail qui nous prend toute notre énergie, notre amour, notre détermination. Je ne saurais pas lui donner un nom, mais c’est une sorte de clé, qui ouvre les portes de notre curiosité, de notre détermination. Il vous faut trouver ça. Lorsque c’est fait, ne restez plus à la surface, enfoncez-vous de plus en plus profondément dedans, pour vous l’approprier. C’est un processus très constructif et gratifiant. C’est comme dans la vie. Si quelque chose vous semble bien, vous y allez.