Vous utilisez des images libres de droits comme vous prenez vos propres photographies. Vous considérez-vous davantage comme une photographe ou une artiste visuelle ?
Je ne passe pas beaucoup de temps à essayer de définir mon travail. Cela ne m’aide pas. Il y a des échos naturels entre l’utilisation d’images trouvées pour mon projet Landscape Sublime, par exemple, et mes propres réalisations (FloodZone, Floridas, Image Cities) parce qu’une majeure partie de mon travail est une exploration des conventions visuelles qui forment notre monde – et de la manière dont ces conventions conditionnent notre réaction à leur présence. Mon travail se lit donc toujours comme une réflexion sur la culture de l’image.
Le paysage est au cœur de votre œuvre. Pourquoi aimez-vous le déconstruire ?
C’est vrai, le paysage est presque toujours présent, d’une manière ou d’une autre. Peut-être cela vient-il du triple sens du mot « paysage » : il peut représenter un format d’image, une vue, ou un endroit. Ces trois définitions ne peuvent pas vraiment être séparées. L’impression que nous avons d’un endroit est influencée par notre réaction face à son image, et face à d’autres lieux en lien avec lui. S’il est facile de s’en rendre compte, comprendre ce que cela implique prend du temps. C’est une dynamique en constante évolution.
Vous interrogez également le médium photographique lui-même, et son influence sur notre société. Quelles conclusions avez-vous tirées ?
L’écrivain et commissaire David Company a dit un jour : « Nous devons contrôler les images, ou ce sont elles qui nous contrôleront ». J’ai parfois l’impression que notre société entretient une relation d’amour-haine interdépendante avec les images. Cela peut être épuisant, fascinant, éprouvant, libérateur… Mais toujours intense – pour moi en tous cas. Je pense qu’un artiste qui utilise la photographie ne peut nier l’utilisation de ce médium en dehors du monde de l’art, dans la vie de tous les jours. Et si l’artiste ne le réalise pas, le regardeur, lui, si. Par conséquent, la photographie dans l’art et en tant qu’art provoque souvent une réflexion sur sa présence en dehors de l’art. Et une partie de cette réflexion comprend, selon moi, son influence sur notre société. Cette notion est toujours présente dans mon travail.
Vous avez grandi à Moscou et avez étudié le design environnemental et la peinture. En quoi l’art et l’avant-garde russes ont-ils influencé votre travail ?
Les femmes avant-gardes m’ont profondément influencée, mais toutes de manières différentes et pas toujours évidentes. Il y a des traces de Constructivisme dans mes compositions, dans mon utilisation de la couleur, dans l’oscillation entre les profondeurs et les surfaces planes. La vivacité picturale de mes œuvres vient en partie de ces influences : d’un besoin de les rendre aussi captivantes que possible.
Beaucoup de femmes avant-gardes étaient d’ailleurs extrêmement polyvalentes, et souhaitaient croiser les disciplines, abolir les frontières entre les beaux-arts et les arts appliqués, entre les images, l’espace en 3D et l’architecture. Récemment, j’ai réalisé des pièces murales pour l’extérieur d’un bâtiment. Je n’aurais jamais pu les concevoir sans l’influence de ce mouvement d’avant-garde russe. Toutefois, mon travail demeure très différent de ce courant. Si je m’en suis nourrie, de manière assez organique, je réfléchis, je ne les imite pas.
Vous avez déclaré trouver la photographie contemporaine « dérivative et redondante », qu’entendez-vous par là ?
Je pense que l’art photographique a toujours compté quelques pionniers prêts à ouvrir la voie vers de nouvelles techniques, et beaucoup de « suiveurs ». Il me semble aussi que la photographie est composée d’approches, de conventions partagées qui n’appartiennent à personne. Un échange naturel naît donc facilement. Si l’on regarde au-delà du style, de l’esthétique, la véritable originalité est en fait assez rare, au sein du 8e art.
Vous abordez souvent des enjeux sociétaux et environnementaux dans vos projets. Vous considérez-vous comme une artiste militante ?
Je ne me considère pas militante, mais plutôt inquiète et engagée. L’art n’est pas un médium optimal pour l’activisme, car celui-ci encourage les gens à trouver les bonnes réponses. L’art, en revanche, entend poser les bonnes questions. Les deux sont importants.
Pensez-vous que le regard féminin existe ?
Oui, mais seulement en tant qu’abstraction théorique et politique. S’il est utile dans cet espace, il n’englobe pas la complexité des relations entre l’identité de genre et le regard. J’ai l’impression que cette nuance rend les gens confus, et les débats finissent toujours par conclure que si vous vous identifiez comme « femme », votre regard doit être « féminin ». En cours de route, nous avons oublié les théories psychanalytiques qui défendent une identité aux strates multiples et en perpétuel changement. Oui, c’est vrai, dans une société patriarcale, les femmes entre elles et les hommes entre eux vivent des expériences communes, mais il semble insensé de présumer que chaque groupe est défini par un regard. Ce n’est pas ainsi que les subjectivités sont vécues et incarnées.
Quelles femmes artistes vous ont inspirée ?
Natalia Goncharova et Alexandra Exter, du mouvement d’avant-garde russe, que j’ai mentionnée plus tôt. Et bien d’autres : Germaine Krull, Florence Henri, Hannah Hoch, Berenice Abbott, Barbara Morgan, Barbara Kasten, Laurie Simmons, Cindy Sherman, Astrid Klein…